Pourquoi la présence russe en Centrafrique agace la France ?
Le 2 novembre 2018 Jean Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères français, était en déplacement en République Centrafricaine (RCA). L’occasion de dénoncer à demi-mot les agissements russes qui, selon lui, « utilise[nt ] potentiellement les difficultés de ce peuple et de ce pays pour s’implanter dans un continent où il y aurait des ambitions voilées » et de réaffirmer le soutien de la France au pays. La RCA subit de nouvelles violences depuis le début du mois de novembre qui ont fait plusieurs milliers de déplacés dans le nord du pays.
L’opération Sangaris et la mise en retrait de la France
En décembre 2013, la France engageait son armée sur le sol centrafricain pour éviter un désastre humanitaire. Cette mission qui n’avait pas vocation à durer s’est terminée en mars 2016. Bien qu’elle ne se soit pas soldée par une l’instauration de la paix en RCA, elle a permis d’empêcher des massacres ethniques. Elle avait également pour but de participer à la formation et à la reconstruction de l’armée centrafricaine et ainsi, à la stabilisation du pays. Une mission des Nations Unies, la MINUSCA, qui est toujours déployée actuellement, a été mise en place en 2014 pour participer à cet objectif en collaboration avec la mission européenne EUTM-RCA et d’autres armées africaines qui ont pris part aux combats (1).
Depuis la fin de l’opération Sangaris le champ libre laissé par l’absence relative de la France a permis à la Russie de devenir un nouveau partenaire de la RCA, ce qui crispe la ministre française des Armées, Florence Parly et le ministre des Affaires étrangères français, Jean Yves le Drian. Lors de son déplacement à Bangui le 2 novembre, ce dernier a rappelé à son homologue Centrafricain que « dans les moments où ça ne va pas bien, il n’y avait pas beaucoup de monde mais j’étais là ».
La Russie, un partenaire efficace pour la RCA
Cet agacement n’est pas récent. En effet l’embargo imposé par les Nations Unies empêchait la France de livrer des armes et d’équiper l’armée régulière centrafricaine. Or depuis le début de l’année 2018, la Russie en accord avec l’ONU a levé son embargo envers le pays et se livre à un commerce avec la RCA destiné à lui fournir des armes,mission que Paris n’a pas pu remplir lors de son opération. En parallèle le Kremlin a dépêché sur place des officiers et des instructeurs civils et a supplanté l’action conjointe de l’Union Africaine et des Nations Unies en initiant unilatéralement des négociations entre des groupes armés à Khartoum, ce que les deux institutions peinaient à mettre en place (2). Le 5 novembre 2018 dans un discours au Forum de Dakar pour la Paix et la sécurité en Afrique, Florence Parly, a dénoncé « les initiatives opportunistes » et le manque de transparence des objectifs Russes en Centrafrique. (3)
Un réveil « tardif » de la France face à la présence russe ?
Ces agissements ne sont pas au goût de la France qui est un partenaire de longue date de la RCA. Le ministre français des Affaires étrangères a donc annoncé le 2 novembre 2018 à Bangui, la livraison de 1400 fusils d’assaut pour équiper l’armée centrafricaine. Ce geste a été salué par son homologue Centrafricain qui a déclaré qu’« il était temps que la France se décide à mettre à disposition ces fusils d’assaut ». Afin de participer au paiement des salaires et au développement d’infrastructures 24 millions d’euros seront également octroyés par la France (4).
Si la France ne voit pas d’un bon œil la présence russe en Centrafrique c’est parce qu’il s’agit d’une concurrence à ses projets de contrats d’armement et d’exploitation des ressources minières (or, uranium et diamant), dans la région. Cela remet également en cause la présence militaire de la France depuis des dizaines d’années, et plus spécifiquement l’opération que la France mène pour la stabilité de la zone avec ses partenaires internationaux. Depuis Dakar Florence Parly a exhorté la Russie à respecter le « multilatéralisme fort qui permet une réponse efficace et durable aux crises » et a souligné que « les violences intercommunautaires régulières nous rappellent que les équilibres restent fragiles » (6).
En dépit de la prise de position des deux ministres Français à l’encontre de l’action russe en RCA, il est peu probable que la Russie ralentisse ses opérations sur place. Le Kremlin semble lancé dans une stratégie de séduction de la Centrafrique et apparaît aux yeux des autorités centrafricaines comme un partenaire fiable et une alternative permettant d’accélérer les processus internationaux qui eux, trainent.
Sources et références
(3) https://www.jeuneafrique.com/658960/politique/centrafrique-quand-la-france-denonce-les-ambitions-voilees-de-la-russie-sans-la-nommer/
(4) https://www.jeuneafrique.com/657464/politique/centrafrique-aide-de-24-millions-deuros-et-livraison-darmes-de-la-france/
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